La correspondance de Marie-Antoinette
La correspondance de Marie-Antoinette aux rayons X aux Archives nationales

Les Archives nationales, en collaboration avec le Centre de Recherche sur la Conservation et le laboratoire Dynamiques patrimoniales et culturelles ont poursuivi leur étude des passages caviardés de la correspondance de Marie-Antoinette et du Comte de Fersen.

Pendant une année, entre fin juin 1791 et août 1792, alors que la famille royale est en résidence surveillée aux Tuileries, la reine Marie-Antoinette et le comte de Fersen ont entretenu une correspondance secrète, dont la plus grande partie est conservée depuis 1982 aux Archives nationales. Si ces lettres ont pu être en partie déchiffrées, le texte en était cependant incomplet car il a été censuré au moyen d’un caviardage recouvrant l’écriture et la rendant illisible.

Les Archives nationales conservent dans leurs fonds : 25 lettres de Marie-Antoinette (4 originaux autographes, les autres étant des copies contemporaines faites par Fersen ou son secrétaire) dont 7 présentent des passages caviardés (représentant un total de 53 lignes ne pouvant être lues) et 29 lettres du comte de Fersen (minutes ou brouillons) dont 8 sont caviardées (55 lignes).

Les Archives nationales, le Centre de Recherche sur la Conservation (CRC) et le laboratoire Dynamiques patrimoniales et culturelles (DYPAC) ont pu, grâce à un financement de la Fondation des Sciences du Patrimoine, et avec le projet Rex, mener à bien le décryptage des textes caviardés. Il avait pour objectif de révéler la teneur du texte original de l’ensemble des passages caviardés sans porter atteinte à l’intégrité de l’original.

Le résultat en termes historiques :

Le contenu révélé est similaire à celui déjà révélé sur la première lettre (celle du 4 janvier 1792) : il s’agit de passages où Marie-Antoinette et Fersen s’expriment dans des termes amoureux, bien que l’essentiel du contenu des correspondances soit de nature politique. Pour la première fois on peut lire sous la plume de Fersen des phrases sans ambiguïté sur le sentiment qu’il porte à la reine et qui avaient été jusqu’ici soigneusement cachées.

Cependant la répétition de formules stéréotypées comme « mon bien cher et tendre ami », « il n’est point de bonheur pour moi, l’univers n’est rien sans vous», « vous que j’aime et j’adorerai toute ma vie », « je ne vis et n’existe que vous pour aimer », est à mettre en parallèle avec d’autres formules tendres utilisées par Marie-Antoinette, comme « mon bien cher coeur » dans sa correspondance avec la princesse de Lamballe. La principale conclusion du projet Rex est donc moins dans des révélations fracassantes sur la nature de la relation entre Marie-Antoinette et le comte de Fersen, que dans la mise en lumière du quotidien de l’expression de sentiments d’espoir, d’inquiétude, de confiance, de terreur, dans un contexte particulier, celui de l’enfermement forcé et de l’éloignement de deux êtres parfaitement à l’unisson, pris dans la succession d’événements dramatiques qu’ils ne peuvent maîtriser.

En ce sens, ces conclusions s’inscrivent dans un contexte historiographique plus large de réflexion sur les pratiques de l’écrit à l’époque moderne et leurs inflexions à la période révolutionnaire. Comme cela a déjà pu être souligné, Marie-Antoinette se saisit de l’écrit pendant la Révolution comme jamais elle ne l’avait fait auparavant : d’obligation inhérente à son statut de reine consort, l’écrit devient un instrument choisi. Le rétablissement du texte d’origine permet aux historiens de prendre la mesure d’un jeu d’émotions qui tisse étroitement ensemble le politique et le personnel. Ces lettres peuvent dès lors être confrontées à d’autres « ego-documents » de cette période qui attestent cette importance de l’émotion en politique – qu’il s’agisse de témoins ordinaires ou extraordinaires de l’événement révolutionnaire.

La réussite la plus remarquable de REX est d’avoir mené à bien un projet paraissant a priori impossible : lire en-dessous des ratures sans toucher aux matériaux. La plupart des techniques d’investigation de pointe s’appliquent à l’archéologie ou à des manuscrits anciens (Antiquité, Moyen Âge). L’application de ces techniques à un corpus récent (datant des années 1791-1792), concernant des personnages sur lesquels on a déjà beaucoup publié et beaucoup écrit, y compris de leur vivant, a montré qu’en terme d’historiographie, une information ne réside pas seulement dans le contenu d’un document mais aussi dans des caractères matériels externes (papier, encre, écriture). L’anthropologie et l’histoire des pratiques d’écriture ont en effet montré avec force qu’un écrit n’est pas qu’un « texte », mais un ensemble graphique inscrit sur un support matériel dont la prise en compte conditionne l’interprétation. Or la possibilité technique de mettre au jour les tracés sous-jacents permet non seulement d’enrichir la compréhension de la production et des usages d’un document, mais en complexifie la matérialité même. Elle amène donc à ré-interroger les principes scientifiques et éthiques d’édition, d’interprétation et de ré-utilisation des documents caviardés qui pourraient être décryptés.

L’ensemble de la correspondance entre Marie-Antoinette et Fersen, avec l’intégralité des contenus révélés par le déchiffrage systématique des lettres et par le projet REX, fera l’objet d’une publication prochaine tandis que les résultats complets du projet REX seront communiqués en début d’année 2021 dans le cadre de deux journées d’étude internationales Écritures masquées / Écritures révélées – La correspondance de Marie- Antoinette aux rayons X – Enjeux et résultats du projet REX.

Photo : Passage d’une lettre de Marie-Antoinette au comte de Fersen du 19 octobre 1791, page 3, avant et après traitement : « cest ma plus grand occupation icy et plusieures de mes demarches nont ete faite que pour nous assurer la liberte de nous voir mais pour cela il faut aussi menager les autres mon dieu que je voudrois etre a ce moment ». Arch. nat., 440AP/1 © CRC

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