Amazonie. Le chamane et la pensée de la forêt
Amazonie. Le chamane et la pensée de la forêt

L’exposition Amazonie. Le chamane et la pensée de la forêt, dévoile un ensemble important, et en partie inédit, des collections du musée d’ethnographie de Genève.

Depuis la Conquête européenne au 16e siècle, les peuples autochtones de l’Amazonie ont vu leur culture attaquée de toutes parts et leur territoire envahi et dénaturé successivement au nom des rois, de la religion chrétienne, de la civilisation et du progrès économique. Après cinq siècles d’un véritable ethnocide, les peuples indiens ont finalement été reconnus comme les « premières nations » par la majorité des neufs Etats amazoniens, qui en assurent aujourd’hui pour la plupart la protection et le bien-être. Mais le bien-être pour les Indiens, c’est avant tout de pouvoir vivre en symbiose avec tous les êtres qui forment un des écosystèmes les plus riches de notre planète : la forêt amazonienne. Pour eux, il n’y a pas d’opposition ou de séparation entre « nature » et « culture ». Tous les êtres vivants et les esprits qui constituent la forêt partagent avec les humains le pouvoir de raisonner et celui d’interagir. Le personnage du chamane incarne dans ces sociétés traditionnelles le médiateur entre les espèces, auxiliaire dans la recherche d’un équilibre toujours renouvelé d’un environnement complexe et dynamique.

L’exposition Amazonie. Le chamane et la pensée de la forêt, dévoile un ensemble important, et en partie inédit, des collections du musée d’ethnographie de Genève. Chatoyantes parures de plumes, sarbacanes, arcs et flèches au curare, objets usuels, instruments de musique, ou nécessaires pour la prise d’hallucinogènes utilisés par les chamanes, l’exposition présente près de 350 objets, 56 photographies, 4 œuvres contemporaines et de nombreux films anciens et récents se déployant sur 700m2, autant de témoignages des cultures amérindiennes telles qu’elles ont été observées du 18e au 21e siècle.

« Mon frère m’a dit de commencer à insérer un labret, petit d’abord, puis un autre plus grand chaque mois. Il faut quatre ans pour arriver à la taille maximale, celle que je porte encore aujourd’hui. Le labret, qui s’appelle botoque dans notre langue, signifie que celui qui le porte est prêt à mourir pour sa terre. C’est la raison pour laquelle tout le monde a peur d’un Indien avec un labret, car c’est un Indien très dangereux. » Raoni Metuktire, Mémoires d’un chef indien, 2010

La mythologie amérindienne, où les figures chamaniques sont récurrentes, est également de plus en plus reconnue comme une source historique, les récits transmis de génération en génération recelant des indices sur les grands événements historiques qui ont affecté les sociétés traditionnelles. Le chamanisme est la capacité de certains individus, les chamanes, à passer les frontières d’un monde à un autre, de démasquer la vraie nature d’êtres se présentant sous une forme déguisée et de dialoguer avec des espèces normalement inintelligibles. Un chasseur peut être ensorcelé et son âme emportée et retenue captive par un esprit de la forêt. Ne subsiste dans le monde des vivants que son enveloppe charnelle. Le chamane, à la demande du groupe social de l’individu, peut pratiquer des rituels et, par la transe chamanique induite par des psychotropes, se rendre dans le monde des esprits pour y récupérer l’âme volée. En passant d’un univers à l’autre, le chamane peut transformer son apparence d’une espèce à l’autre, et par là même, se voir doté des qualités de l’une ou l’autre espèce. Prenant la forme de l’oiseau urubu, par exemple, le chamane survole la forêt et y détecte l’âme volée. Ailleurs, prenant la forme d’un jaguar, il combat l’être maléfique qui est responsable de l’ensorcellement.

Les peuples amazonien

Les peuples amazoniens offrent bien des traits communs dans leur mythologie, dans leur histoire, dans leur pensée animiste et dans leurs pratiques chamaniques. Ils n’en sont pas moins diversifiés linguistiquement et culturellement. Au Brésil seulement, 246 ethnies sont recensées pour une population totale de 900 000 individus, chacune parlant sa propre langue.

Aujourd’hui, les peuples d’Amazonie vivent en composant avec les changements toujours plus profonds de leur environnement. Malgré l’existence de quelques groupes isolés dits « non contactés », qui évitent toute relation avec les nouveaux arrivants (ou néo-amazoniens), nombre d’entre eux vivent sédentarisés, entre un mode de vie traditionnel et moderne. Ici, comme ailleurs dans le monde, les populations autochtones sont confrontées à la perte des connaissances et des pratiques traditionnelles, qui mène inéluctablement à leur paupérisation et à leur subordination.

La confrontation à de nouveaux systèmes de valeurs, que ce soit ceux de l’État ou ceux des néo-amazoniens, n’est jamais vraiment maîtrisée par ceux qui ont irrémédiablement perdu les acquis séculaires d’une histoire culturelle qui leur était propre. La lutte pour la préservation de l’environnement naturel et la reconnaissance des droits territoriaux sont au centre des préoccupations des organisations indigènes.

La radio leur avait permis de consolider les liens entre communautés et d’organiser des mobilisations dans les années 1970. Depuis peu, les nouveaux outils numériques se sont répandus en Amazonie. Ils donnent aux revendications des Indiens un écho aussi large qu’instantané. Ethnocide, paupérisation, exploitation des ressources, les témoignages des populations amazoniennes permettent aussi d’aborder les questions de leur sauvegarde et de la disparition des forêts.

Le musée d’histoire de Nantes soutient l’action de l’association genevoise Aquaverde qui a pour but de promouvoir toute initiative visant à apporter une dimension nouvelle à l’interaction entre l’homme et l’environnement dans la perspective du développement durable et de la dignité des peuples. L’exposition est l’occasion, pour le musée d’histoire de Nantes, d’interpeller les visiteurs sur le devenir des populations du bassin amazonien et de leur proposer de devenir acteurs d’une action concrète.

« Nos esprits sont minuscules mais très puissants. Ils savent détruire les maladies et nous guérir. Ils luttent contre les esprits maléfiques qui nous dévorent comme du gibier. Ils peuvent faire taire les tonnerres, mettre un terme aux pluies trop abondantes et calmer le vent de tempête qui brise les arbres. Ils font croître les plantes des jardins et appellent la fertilité de la forêt […]. C’est à cela que travaillent les chamanes. » Davi Kopenawa, Yanomami. L’esprit de la forêt, 2003

Aquaverde
Photo : Aquaverde
Photos : © MEG, J. Watts
Photos : © MEG, J. Watts

Amazonie. Le chamane et la pensée de la forêt
Exposition du 15 juin au 19 janvier 2020

Château des ducs de Bretagne
4, place Marc Elder
44000 Nantes

http://www.chateaunantes.fr/fr