Un petit « moonwalk » pour « Jean de la Lune », un grand pas pour l’humanité

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    L’histoire : Jean de la Lune s’ennuie tout seul sur la Lune. Il décide de visiter la Terre. Un jour, il s’accroche à la queue d’une comète et atterrit chez nous. Le Président du Monde, persuadé qu’il s’agit d’un envahisseur, le pourchasse. Pour lui échapper, Jean de la Lune va devoir compter sur les enfants et ses amis…

    Le Père Noël, la petite souris, Jean de la Lune, les fées… nous ont fait rêver tandis que les fantômes, sorcières, vampires et autres loups-garous sont venus hanter nos nuits (pour les accrocs à la saga de Stephenie Meyer et aux blockbusters qui en découlent, ce dérangement nocturne n’a visiblement pas l’air de les effrayer, au contraire…). Bref, ce sont des mythes qui appartiennent uniquement à l’enfance et les parents, de génération en génération, s’appliquent avec soin à les transmettre à leurs enfants et puis un jour, tout bascule. On découvre qu’ils nous ont menti, le mythe s’effondre (on pleure un peu, pour la forme, nos parents si aimants et bienveillants nous ont quand même usurpé, pour notre bien soi-disant…). Je pense, en tant que psychologue de pacotille diplômée de l’École du Néant, que cet événement marque l’achèvement de ce paradis temporel qu’est l’enfance. Fini l’innocence, la naïveté, les rêves!

    Peut-être suis-je un peu radicale, je vous le concède… Je réagis comme une enfant trompée, trahie. Cependant, j’ai grandi et j’ai relativisé, je comprends le bien fondé de ce mensonge ; ils voulaient nous laisser croire à des choses incroyables. Enfant, on ne se soucie en aucun cas des lois du réel, du possible, du vraisemblable (on ne se doute même pas qu’un type nommé Aristote a écrit à ce sujet). Les chérubins vivent dans un monde où la maîtresse est une espionne, où l’on veut (sérieusement) un lion pour animal de compagnie, où l’on peut manger des bonbons à midi devant notre dessin animé, où le travail se résume à colorier les fleuves sur une carte de la France ; c’est tellement dur à vivre au quotidien…

    Peut-être aurais-je dû prendre une petite précaution : j’espère que vous avez mis les enfants au lit, qu’ils sont bien bordés, les dents propres et qu’ils ne sont pas sur vos genoux en train de lire avec vous! Je ne veux pas avoir sur la conscience d’avoir ruiné l’enfance d’un mouflet. Si je vous mets dans l’embarras d’avoir à répondre à une question bête et méchante du genre : « La dame dit que le Père Noël n’existe pas? » alors qu’il vous regarde les yeux embués de larmes ; vous allez être énervé contre moi et vous ne finirez pas de lire cet article.

    Tous ces allers et retours entre l’enfance et le monde des adultes pour en venir au film d’animation de Stephan Schesch, « Jean de la Lune », qui sortira le 19 décembre 2012. C’est une adaptation du conte de Tomi Ungerer datant de 1966 mais toujours aussi actuel, qui raconte le voyage de Jean de la Lune. Ce petit être qui vit dans la Lune s’ennuie et profite du passage d’une comète pour rejoindre la Terre. Il découvre alors les humains, les grands comme les petits, sous leur bon comme leur mauvais jour, pour le meilleur et pour le pire. A vrai dire, j’ai regardé ce film comme une schizophrène aurait pu le faire : comme une enfant, j’aimais croire en l’existence de Jean de la Lune et comme une (jeune) adulte, je regrettais d’avoir grandi. Ces deux visions n’étaient pas clivées l’une de l’autre mais elles s’entremêlaient, elles se chevauchaient tout au long du film.

    Si au début, il y a bien une dichotomie entre enfant et adulte ; cela n’est pas immuable. En effet, le monde des enfants nous apparaît, de prime abord, comme le royaume onirique de l’innocence et de la gentillesse. Ces petits princes et princesses y vivent tous heureux. D’ailleurs, lors d’une scène de bal, les enfants au premier plan sont déguisés, ils dansent et s’amusent en riant. Cette image contraste alors fortement avec les parents, en arrière-plan, qui restent prostrés à s’ennuyer fermement. Le père, d’une petite fille qui ne lâche jamais son chien, est l’incarnation même de ces adultes qui ne croient plus en rien d’autre qu’au domaine du rationnel. Ils sont tellement sérieux que l’ennui qu’ils éprouvent les rend ennuyants ; triste destin que celui de grandir…

    Finalement, les frontières des âges et des possibles se brouillent. Ce père refusait de croire en Jean de la Lune mais il finit par retrouver son âme d’enfant, par se rappeler ce personnage qui a bercé ses premières nuits et parvient alors à le voir ; les mêmes souvenirs réapparaissent à l’esprit d’Ekla des Ombres, un vieil inventeur de génie. Les adultes, même les plus fossilisés, gardent tous au fond d’eux une trace, une empreinte indélébile de leur enfance. Le personnage du Président du Monde en est le parfait prototype car il agit tout simplement comme un enfant gâté. C’est une version grand gabarit et occidentalisée de « l’enfant-roi » dont les caprices et les frasques rythment la vie quotidienne et bousculent le calme du pays si paisible de Confucius. Le pauvre chéri n’aime pas prêter ses jouets, il pique une crise lorsqu’il apprend que Jean de la Lune veut retourner sur son astre avec la fusée qu’ Ekla des Ombres lui a conçue (« Il va me piquer ma fusée! »). Un contrôle de soi tellement digne de son statut de chef d’État… mais, pour sa défense, accordons-lui toutefois le fait qu’il ait su rester poli même lorsqu’il s’emportait, contrairement à d’autres qui se sont laissé aller verbalement et vulgairement, peut-être un peu trop détendus par l’atmosphère champêtre qui régnait un fameux 23 février au Parc des Expositions de Paris…

    Faut-il alors envisager un caractère capricieux et un ego surdimensionné chez les plus hauts placés de ce monde pour comprendre leur ambition? Les dirigeants qui ont (juste) nos avenirs entre leurs mains ne seraient que des enfants trop chouchoutés qui ont finalement mal grandi? Un peu effrayant… Dans « Jean de la Lune », l’ambition du Président le pousse à conquérir le monde entier ; il lui faut tout et tout de suite. Mais dès lors où il obtient l’objet de son désir, tel que nous le montre Platon à travers sa métaphore de l’homme en un tonneau percé, il ne parvient jamais à se satisfaire de ce qu’il possède et désire sans cesse. Il est alors, tout simplement humain, qu’une fois la Terre sous son autorité et ce, jusqu’au dernier lopin de terre, il se tourne vers un autre projet, celui de conquérir la Lune…

    Mais le régime instauré par ce Président amoureux de lui-même est pensé à l’extrême car il n’est pas sans rappeler certaines dictatures (il est tellement sous l’emprise d’Eros qu’il s’admire longuement dans le miroir chez Ekla des Ombres ; en même temps, c’est vrai que ce doit être agréable de contempler la perfection certains matins). Il s’assure l’obéissance de tous ses citoyens en faisant régner un climat de tension et de peur et ainsi, il apparaît sous les traits d’un sauveur, dans le costume d’un super-héros des temps modernes. Dès que la sirène retentit pour annoncer la présence d’un intrus, le Président s’empresse de répandre la nouvelle d’une tentative d’invasion venue d’ailleurs. On peut y voir une peur de l’Autre, de celui qu’on ne connaît pas et auquel on attribue, sans aucune preuve, des mauvaises intentions ; terriblement actuel… L’omniprésence des symboles du régime (des drapeaux à chaque réverbère de chaque rue de chaque ville ; c’est le 14 juillet tous les jours! ), un recours systématique à l’armée qui maîtrise parfaitement le pas de l’oie, une scène de défilé qui n’a rien à envier à celle qui nous a été offerte dans la capitale nord-coréenne, Pyongyang ; en résumé, un régime autoritaire dans toute sa non-splendeur.

    Certes, ce film d’animation s’adresse en partie à un jeune public, mais il y a donc des références politiques et même cinématographiques à l’attention de spectateurs plus avertis. Ce long-métrage est truffé de clins d’œil et notamment à François Truffaut et son « Enfant sauvage », à travers une réflexion sur le caractère inné ou culturel de ce qui nous détermine comme des êtres humains. En effet, c’est au contact d’autrui que Jean de la Lune apprend à parler en répétant les sons qu’il entend ; il découvre également les sensations, il apprivoise son odorat. Il apprend à marcher et surtout, il éprouve des sentiments comme l’amitié alors qu’il ne connaissait ni l’existence ni la signification de ce mot (« C’est quoi un ami? » harangue-t-il sans cesse). Ces connivences avec le spectateur sont parfois plus légères comme lorsqu’il comprend qu’il peut se servir de ses jambes pour marcher et que, par hasard, Jean de la Lune effectue ce « pas lunaire » (je vous l’accorde, cela sonne mieux en anglais, le « moonwalk ») ; j’ai trouvé ce clin d’œil marrant (il m’en faut peu, je vous l’accorde aussi). Et surtout, la voix chevrotante avec laquelle il répète le nom «maison» ne peut que nous évoquer la créature à la double nationalité américano-extraterrestre de Steven Spielberg.

    Au delà de toutes ces considérations intellectuelles (et fatalement, adultes) qui nous invitent à la réflexion et à la discussion une fois sorti de la projection, je crois que ce film a surtout pour ambition de s’inviter visuellement dans nos esprits. Le travail des couleurs est juste exceptionnel car le recours à un fond noir permet de créer un véritable contraste et ainsi, de faire ressortir des tonnes de nuances. Le soin apporté à l’image et sa qualité graphique est sublimé par une bande-son qui vaut, elle aussi, le détour. La scène où Jean de la Lune se laisse porter par le courant de la rivière nous fait découvrir des paysages, singuliers par leurs couleurs mais familiers par leurs formes, mais elle ne serait pas aussi apaisante sans la voix de Louis Armstrong qui l’accompagne.

    Alors qui que vous soyez, rêveur ou rationnel ; à Jean de la Lune, vous deviendrez un inconditionnel. Aurore Richard pour artsixmic

    • Un film de  : Stephan Schesch
    • Avec les voix de Tomi Ungerer, Katharina Talbach, Michel Dodane, Jean-Yves Chatelais, Frédérique Tirmon, François Pistorio, Lou Dubernat
    • Catégorie :  Animation
    • Durée :  1h36
    • Langue : Français
    • Réalisation :  Stephan Schesch
    • Scénario :  Stephan Schesch, d’après le conte de Tomi Ungerer
    • Montage  : Sarah Clara Weber

    La bande annonce :