Mon nom est clitoris

Mon nom est clitoris : Des jeunes femmes dialoguent autour du thème de la sexualité féminine, avec la volonté de changer le monde autour d’elles et de faire valoir le droit des femmes à une éducation sexuelle informée, délivrée des contraintes et des tabous.

Mon nom est clitoris : Un film de Lisa Billuart-Monet et Daphné Leblond

Douze jeunes de 20 à 25 ans racontent le parcours de leur sexualité depuis lʼenfance. Dans leur chambre, face caméra, elles sʼadressent aux deux réalisatrices en proie aux mêmes questions. Elles se remémorent les premières sensations, les explorations hasardeuses, les conversations dans le noir et les obstacles inattendus. Toutes sont mues, chacune à leur manière, par un même élan : la quête dʼune sexualité épanouissante, libre et égalitaire. Le film reconstruit un dialogue absent ou trop tardif; il offre à ces jeunes femmes, et aux spectateur·rices à leur suite, un espace pour repenser des inégalités qui se sont érigées en système social.

Photo : La Vingt-Cinquième Heure
LES ORIGINES DU PROJET?

Lisa Billuart Monet : Cʼest parti dʼune discussion personnelle, et inattendue. Nous étions à Istanbul avec Daphné, et en visitant le palais de Topkapi, nous avons commencé une longue conversation sur notre sexualité, notamment sur la masturbation et lʼobligation de la pénétration dans les rapports hétérosexuels. Nous avons osé prendre la parole sur ce sujet parce que personne ne pouvait comprendre notre langue autour de nous (en tout cas on convaincre) ! À la fin de la visite, et de cette longue conversation, on sʼest dit quʼil serait salutaire pour beaucoup dʼentre nous dʼen faire un film. Dʼautres que nous avaient sûrement besoin ou envie de ce dialogue.

Daphné Leblond : Le premier constat, cʼétait la censure dont la masturbation et le plaisir chez les filles faisaient lʼobjet. On sʼest rendu compte que la première fois que nous avions abordé ce sujet, lʼune comme lʼautre, nous avions déjà 21ans !

LE CLITORIS EST VITE DEVENU LʼEMBLÈME DE CETTE DISCUSSION?

Daphné Leblond : Nous avions parlé de masturbation, de plaisir, comment le trouver à deux, notamment avec des hommes. Et comment la masturbation pouvait aider des femmes à trouver le plaisir toutes seules, puis à le retrouver avec leurs partenaires. Le lien entre la masturbation, le plaisiret le clitoris était évident.

IL Y A AUSSI CETTE IDÉE DE FAIRE FACE À UN GRAND NON DIT… LE CLITORIS COMME CONTINENT INCONNU.

Lisa Billuart Monet : Lʼeffacement du clitoris est le symbole de la méconnaissance et de la censure de la sexualité des femmes cisgenres. Il était primordial de le visibiliser et donc quʼil apparaisse dans le titre.

Daphné Leblond : Oui, le nommer, cʼest le faire exister, dans lʼesprit comme dans le corps, dans la pensée comme dans la sensation. Dans le film, on souligne le pouvoir performatif du langage.Ne pas prononcer un mot, cʼest invisibiliser la chose quʼil désigne. Dʼautant quʼaujourdʼhui, les mots-clefs que lʼon tape dans une barre de recherche, comme on le montre dans le film, renforcent encore le poids des mots! Si on pense à toutes celles et ceux qui trouvent notre film en tapant “clitoris” dans leur navigateur, cʼest une petite revanche un peu jouissive.

Lisa Billuart Monet : Lʼimportance du vocabulaire, on en parle aussi beaucoup dans le film. Ce vocabulaire est tellement hétéronormé…Par exemple, on utilise le mot vagin pour parler de vulve.

Et puis le fait de parler de “préliminaires”, de lʼentrée du vagin plutôt que de la sortie… Le champ lexical lui-même est déterminé par le prisme masculin. Ce sont des hommes qui ont donné leur nom à des parties du corps féminin, sacrée appropriation ! On a vraiment envie que certains mots soient abandonnés, et remplacés.

Daphné Leblond : Et il y a encore des résistances très fortes, je connais très peu de personnes qui ont réellement arrêté dʼutiliser les mots “préliminaires” ou “virginité”. Et pourtant dans 50 ans, ces termes paraîtront hallucinants pour tout le monde!

Photo : La Vingt-Cinquième Heure
IL Y A LE POIDS DES MOTS, MAIS AUSSI LE POIDS DES REPRÉSENTATIONS ET DES IMAGES.

Lisa Billuart Monet : Cʼest drôle, parce quʼau montage, on nʼavait pas prévu de débuter le film sur la séquence où lʼon demande aux jeunes femmes de dessiner le clitoris, cʼest une idée de Lydie, notre monteuse. Mais finalement, entamer le film sur ce constat assez dur dʼignorance, cela pose beaucoup de questions. Dʼoù vient cette ignorance, et comment avoir une sexualité épanouie dans ces conditions ? Les enjeux principaux du film sont posés avec cette séquence…

LʼIGNORANCE VIENT AUSSI DU FAIT QUE LE CORPS DES FEMMES EST POLITIQUE. ET LʼABSENCE DʼÉTUDES À SON SUJET NE LʼEST PAS MOINS.

Daphné Leblond : Cela apparaît très clairement quand on observe lʼhistoire de lʼorgane et de ses représentations. Le clitoris est connu depuis la nuit des temps. Dès le XVIe siècle, des anatomistes italiens ont décrit les premières traces de ses parties internes. Pourtant, à un moment, il a disparu ! Un vrai obscurantisme. Et la censure persiste… On est loin aujourdʼhui de le trouver dans tous les manuels scolaires. La médecine féminine est trop peu développée, donc la connaissance du corps féminin aussi.

Il y a une censure morale et politique, les femmes ne doivent pas aimer la sexualité, pas en parler. Et cela se traduit par le fait que le clitoris est invisible. La censure, on la voit par le fait quʼon ne voit pas le clitoris. On est bien placées pour savoir que cʼest possible pour une fille de se toucher sans connaître lʼexistence du clitoris, et en fait sans même savoir ce quʼelle touche ! Cʼest complètement délirant… Cʼest comme si un jeune homme qui se masturbait déjà depuis des années découvrait soudain lʼexistence du pénis…

LE FILM ABORDE DE GRANDES ÉTAPES CLEFS DE LA SEXUALITÉ, DES PASSAGES OBLIGÉS PATRIARCAUX ET HÉTÉRONORMÉS.

Lisa Billuart Monet : On aborde les choses de façon assez chronologique : les premières sensations de lʼenfance, la découverte de la masturbation et le tabou qui lʼentoure, lʼéducation sexuelle (la censure familiale devient sociale, cʼest lʼinstance éducative qui sʼy met), ensuite la “perte” de la “virginité”, les rapports sexuels, lʼobligation de la pénétration…

Daphné Leblond : La chose importante, cʼest avant tout faire lʼamour, et non prendre du plaisir. Et faire lʼamour, cʼest la pénétration, point. Ce qui compte, cʼest lʼavoir fait, pas lʼavoir ressenti. Cʼest un rite de passage si fort quʼil en prend le pas sur le plaisir, et bien souvent au détriment de celui-ci…

Photo : La Vingt-Cinquième Heure
LA QUESTION DE LA NORMALITÉ REVIENT SOUVENT DANS LE FILM

Daphné Leblond : Souvent, la norme nʼest pas explicitée, cʼest bien plus sournois que ça. Toutes les filles se disent: « Je suis la seule à me masturber ». Cette norme tacite est pourtant vécue par toutes. Les filles se vivent anormales de façon collective, ce qui est particulièrement ironique, puisquʼelles vivent toutes la même chose!

Même quand les filles sont à peu près dans la norme, elles se sentent à lʼécart ! On a rencontré des filles qui pensaient quʼelles avaient fait lʼamour trop tard, dʼautres trop tôt, alors quʼelles avaient le même âge! La norme, cʼest une incroyable contrainte, cʼest presque impossible dʼêtre dedans. Cʼest ce que dit Maja dans le film, une norme qui fait 2cm de large.

RÉFLÉCHIR À LA NORME, CʼEST RÉFLÉCHIR AUX CLICHÉS.

Lisa Billuart Monet : On passe de la “vierge” à la “pute” sans transition, comme sʼil nʼy avait que deux possibilités. Maja, lʼune des jeunes filles dʼorigine maghrébine, parle du racisme, en disant quʼon la voit soit comme une femme soumise qui a 16 grands frères, séquestrée par son papa, soit comme la “beurette” des films porno. Cet exemple est très fort, et cette injonction est encore plus présente pour les personnes racisées.

Daphné Leblond : Ça correspond à des clichés colonialistes, celui de la femme orientale sensuelle, la femme du harem comme objet sexuel versus celui de la femme trop voilée, trop prude. Ces stéréotypes sont présents depuis des siècles.

Le poids de lʼidéologie est difficile à nier. On est dans une société de survalorisation du plaisir via des discours un peu creux, au lieu dʼévoquer lʼessentiel. Cela me fait penser à cette phrase qui circule en ce moment:« Si cette société était vraiment concentrée sur le plaisir, les femmes seraient bien moins souvent pénétrées, et les hommes beaucoup plus souvent. »

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Dans les salles de cinéma le 17 juin 2020 et/ou en e-cinéma géolocalisé selon l’évolution de la réglementation d’ici à la sortie.

Le e-cinéma géolocalisé ? : La plateforme www.25eheure.com est une solution innovante qui permettra de visionner le film en ligne aux mêmes horaires que les séances en salle, et sera accessible aux spectateurs situés dans un périmètre géographique autour du cinéma qui s’engage à programmer le film.

Mon nom est clitoris – Bande annonce