Alain Jacquet
Alain Jacquet – Gaby d’Estrées 1965 – Sérigraphie quatre couleurs sur toile 119x172cm – Courtesy Comité Alain Jacquet et Galerie GP & N Vallois, Paris – © Comité Alain Jacquet – ADAGP, Paris 2015

Alors que le musée Marmottan Monet vient de célébrer les quatre-vingts ans de son ouverture, il nous présente jusqu’au 5 juillet 2015, une exposition aussi unique qu’insolite sur le thème de la Toilette et de la Naissance de l’Intime, à travers des œuvres d’artistes majeurs du XVè siècle à nos jours, révélatrices de notre histoire et de notre culture. Le parcours de l’exposition est exceptionnel de par sa qualité, des œuvres prestigieuses étant révélées au public grâce à des prêts en provenance de musées et de collections privées.

C’est un superbe ensemble de gravures de Dürer, de Primatice et de peintures de l’Ecole de Fontainebleau qui ouvre l’exposition, la seconde partie étant consacrée au XIXè siècle et faisant apparaître à travers les œuvres de nouveaux rituels de toilette grâce à l’apparition de nouveaux outils telle l’apparition du cabinet de toilette et surtout une plus grande utilisation de l’eau. L’intimité et l’entretien de soi traduise une modernité qui se dégage des toiles. Enfin, l’exposition se termine avec des images surprenantes de salles de bains modernes et pratiques que Pierre Bonnard transforment en de véritables espaces d’abandon et de rêve.

Outre le fait que cette exposition nous fait découvrir des oeuvres jusqu’à maintenant pour certaines méconnues, elle nous éclaire sur les changements qui ont affectés les pratiques d’hygiène et d’entretien de soi dans notre histoire occidentale. Au delà de la seule notion de propreté, elles sous-entendent tout ce qui est intime, privé et qui relève du secret de chacun . Les corps se dénudent, les pratiques de beauté se précisent, s’accomplissant dans des endroits fermés puis consacrés à ce moment.

Durant la renaissance, les bains publics si répandus au Moyen-âge, s’estompent car l’eau est considérée comme vecteur de maladie, et seule l’élite sociale continue de se baigner parfois à plusieurs dans une même baignoire. Au XVIIè siècle, l’eau, de mauvaise qualité et pouvant faciliter les contagions, disparaît de la toilette et cède la place aux fards, qui sont appliqués devant les personnes qui se trouvent présentes, la notion d’intimité est complètement absente.

Photo :  Alain Jacquet – Gaby d’Estrées 1965 – Sérigraphie quatre couleurs sur toile 119x172cm – Courtesy Comité Alain Jacquet et Galerie GP & N Vallois, Paris – © Comité Alain Jacquet – ADAGP, Paris 2015

Le Bain

Photo : Pays-Bas du Sud – Le Bain, tenture de la vie seigneuriale – Vers 1500 – Laine et soie – 285x285cm – Paris, musée de Cluny – Musée national du Moyen Age – © RMN Grand Palais (musée de Cluny – musée national du Moyen-Âge) / Franck Raux

Pays-Bas du Sud, Le Bain, tenture de la vie seigneuriale, vers 1500, Paris, musée de Cluny – Musée national du Moyen Age. Cette tapisserie est exemplaire d’une conception du bain au commencement de la Renaissance : un bain qui se prend l’été, dans un jardin. Une noble jeune fille prépare son corps, peut-être à une nuit nuptiale : on l’environne de musique, on lui porte bijoux et friandises. Elle n’effectue aucun geste de nettoiement, jugé trop prosaïque, mais demeure immobile, nue jusqu’à mi-corps, quasi-idéelle dans sa perfection. Le bain confine au rêve : hymne à la beauté, à la féminité. L’espace est utopique, ouvert à tous vents, la nature prolifique, saturée de couleurs.

Le siècle des lumières voit le retour de l’eau et la toilette devient plus réservée , des accessoires sont inventés, tel le pédiluve et le bidet et leur apparition s’accompagne de discrétion bien que la maison ne possède pas encore de lieu précis pour faire ses ablutions.

Après 1800, la femme fait sa toilette à l’abri des regards et leurs gestes intimes, juste en ce qui concerne l’habillage et la coiffure, font l’aubaine des peintres. A la fin du XIXè siècle l’eau courante arrive dans les immeubles et « la femme à sa toilette » redevient un thème pictural ; la notion de corps change, les nouveaux sont imparfaits et n’ont plus rien à voir avec le nu académique. Degas rentre dans l’intimité de la toilette de la femme et la représente dans toutes les poses possibles, par des points de vue, des cadrages, des couleurs de pastel qui donnent l’impression de chair vivante ; Bonnard fera de même avec la couleur, montrant la femme dans sa baignoire, la toilette est devenue un moment où le temps s’est arrêté et où la femme est à l’abri du restant du monde.

Dans la première moitié du xxe siècle, le corps de la femme et ses occupations de toilette ne sont plus représentés avec exactitude mais les peintres veulent faire passer des émotions ; la géométrie envahit les toiles tels les droites et angles de Kapek ou bien encore les couleurs qui jouent des dissonances chez Kupka.

La seconde moitié du XXè siècle voit l’apparition des cosmétiques et des maisons de beauté que la photographie publicitaire soutient, changeant ainsi le regard que la société porte sur a toilette. De nos jours, le nu n’est plus d’actualité, eau et salles de bains sont monnaies courantes, , les œuvres mettant en scène la toilette doivent donc s’interpréter en fonction d’interrogations esthétiques plus générales. Par la centaine de toiles exposées, le musée Marmottan conjugue pour notre plus grand plaisir histoire de l’art et histoire de la culture.

Exposition jusqu’au 5 juillet 2015

musée Marmottan Monet
2, rue Louis-Boilly 75016 Paris
www.marmottan.fr