Albert Hirsch, Sculptures de ville, 12 sculptures monumentales à Amiens

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    La ville d’Amiens célèbre, par une exposition du 6 juillet 2012 au 3 septembre 2012, l’oeuvre du sculpteur Albert Hirsch. L’exposition intitulée « Sculptures de ville » s’organisera autour de 12 sculptures monumentales en acier, dont 6 créées spécialement pour l’exposition, réparties dans le centre-ville piétonnier d’Amiens, depuis la gare SNCF jusqu’à la Maison de la Culture, en passant par différents lieux de rencontres, non loin de la Cathédrale. L’idée centrale de cette exposition est d’inviter les amiénois et les touristes, à découvrir ou redécouvrir Amiens en se promenant à travers les étapes sculpturales choisies par Albert Hirsch.

    Dans sa jeunesse, Albert Hirsch étudie la sculpture à Paris aux Arts Appliqués et se passionne pour la danse et la musique. En 1968, René Char s’enthousiasme pour son travail et demeurera jusqu’à sa mort un ami et un soutien fidèle. Albert Hirsch lui dédiera le Grand Eploiement, sculpture qui sera exposée dans les jardins du Luxembourg en 1970. Travaillant le plâtre à ses débuts, puis le bronze, la pierre et le bois, il poursuit ses recherches aujourd’hui avec l’acier, l’eau et l’ardoise. Ayant exposé au coté des grands plasticiens (Roberto Matta, Alberto Giacometti, Albert Gleizes, André Masson…), on lui doit d’importantes réalisations monumentales dont l’oeuvre remarquable intitulée Deux traits de lumière érigée à Maurepas dans la Somme où il vit et travaille.

    Entretien du sculpteur Albert Hirsch mené par le critique Gérard Gauthier.

    GERARD GAUTHIER : Depuis longtemps, vos oeuvres sont souvent exposées à l’extérieur et notamment dans les parcs. Est-ce une volonté de votre part ?

    ALBERT HIRSCH : Oui, les parcs m’intéressent car j’aime intégrer mes sculptures à des espaces naturels et voir comment elles réagissent à la lumière et se confrontent aux intempéries. Je l’ai d’ailleurs fait dès 1970 dans les jardins du Luxembourg. L’idée que mes sculptures vivent au milieu des arbres, qu’elles soient pleinement intégrées au cycle naturel me plait.
    Lorsque j’expose une sculpture à l’extérieur, j’attends d’elle qu’elle me surprenne par la manière dont elle se modifie et modifie son environnement. J’ai souvent eu d’agréables surprises !

    G.G. : Depuis les années 90, vos oeuvres sont plus imposantes qu’avant. Une recherche de monumentalité ?

    A.H. : Depuis que je travaille le fer et ses prolongements, je peux pleinement aborder des dimensions monumentales. C’est également une des raisons qui m’incite à exposer à l’extérieur car en sculpture, l’extérieur permet d’interroger la monumentalité des oeuvres. Pour moi, une oeuvre qui tient dehors, c’est une oeuvre qui se vérifie.
    Mais la monumentalité n’est pas qu’une question de taille. Ce n’est pas parce qu’une oeuvre mesure 40 mètres de hauteur qu’elle a plus de force qu’une de 3. Aucune tour de 400 mètres n’a à ma connaissance plus de force que le Parthénon, car chaque centimètre du Parthénon a été vécu. Il en va de même pour la sculpture.

    G.G. : Qu’entendez-vous par « vécu » ?

    A.H. : Comment expliquer ? Pour moi la sculpture n’est pas simplement une réalisation mais c’est surtout une élaboration, une construction, un risque à prendre. Il faut FAIRE de la sculpture. J’entends par là que la sculpture ce n’est pas d’avoir tous les éléments avant, puis de réaliser : c’est ce genre de démarches qui fait les désastres en art. Il faut une étincelle certes mais surtout ne pas négliger la part du hasard, de l’imprévu qui ne peut venir qu’en travaillant. C’est au sculpteur de suivre ou non les éléments qui apparaissent au cours du travail.
    C’est ça que je veux dire quand je parle des centimètres vécus du Parthénon. C’est la même chose pour la cathédrale d’Amiens. On ressent son vécu et son risque aussi.

    G.G. : Vous exposez vos 12 sculptures en plein coeur de la ville d’Amiens justement dès le 6 Juillet. Est-ce que cela représente une autre étape dans cette confrontation avec l’extérieur dont vous parliez précédemment ?

    A.H. : Oui car la cité a ses spécificités : un urbanisme déjà existant, une proximité directe des sculptures avec les piétons, mais aussi les regards furtifs de ceux qui circulent comme les automobilistes et les deux-roues. C’est une des différences majeures avec les jardins ou les parcs : le rapport au temps n’est pas le même.
    Mes sculptures ouvrent l’espace dans tous les sens et sous différents angles. Ce que je souhaite et c’est l’un des défis que je me suis fixé, c’est qu’en présentant mes sculptures dans la ville d’Amiens, elles permettent au regardeur de voir Amiens différemment.

    Pour reprendre le phrase de Maurice Benhamou, « La sculpture nourrit la cité de son effacement. On oublie de la regarder mais on trouve à l’avenue qu’elle ouvre une harmonie qu’on ne lui connaissait pas, à la place qu’elle anime un air énergique, une modernité qui donnent envie de vivre. »

    G.G. : Revenons sur vos oeuvres, on a en effet du mal à les cerner dans leur globalité. Est-ce ce qui fait l’originalité de votre travail ?

    A.H. : La plupart du temps la sculpture traditionnelle indique une direction principale pour le regardeur, le sculpteur ayant oeuvré dans ce sens. Je souhaite pour ma part que le regardeur cherche l’avant, l’arrière, qu’il trouve les angles qui lui plaisent. Si le spectateur ne peut englober toutes les formes et les intentions en un regard et qu’il doive bouger, tourner autour de la sculpture, lever la tête, la baisser, s’éloigner, se rapprocher, il me rejoint dans ma danse et devient actif. Peut-être est-ce ce rapport au mouvement, à la danse qui est original dans mon travail.

    G.G. : Sur les 12 sculptures qui vont être exposées, plusieurs ont justement des titres en lien direct avec la danse : Solo Merce, Tanaquil, Paso-doble…Pouvez- vous m’en dire un peu plus sur le rapport que vous entretenez avec la danse et les danseurs ?

    A.H. : La danse me concerne depuis toujours. J’y vois et ressent un art savant du mouvement dans l’espace. J’aime la danse pour ce coté vu-revu dans ma mémoire. Je garde en moi certains fragments de ballets de Georges Balanchine, de Merce Cunningham, mais aussi des danseurs, Rudolf Noureev-Jean Guizerix-Wilfride Piollet-Suzanne Farell -Tanaquil LeClerc-Fred Astaire. J’ai toujours dis que je dansais mes sculptures. C’est encore vrai aujourd’hui ! De manière générale, j’aime le rythme. Mes plus grands chocs viennent de la musique de Charlie Parker et de John Coltrane. Il y a chez eux une imprévisibilité qui fait que tout se relance en permanence et d’une manière continue. C’est continu mais pas logique et c’est justement pour ça que ça ne s’arrête jamais : c’est un prolongement et c’est le travail qui permet ça. C’est ce que je cherche dans mon travail de sculpteur.

    G.G. : C’est curieux mais lorsque vous parlez de votre travail, vous parlez plus volontiers de musiciens, de danseurs, de poètes que de sculpteurs ou de peintres. Ont-ils eu moins d’influence sur votre travail ?

    A.H. : C’est difficile à dire. C’est vrai que la danse et la musique ont été mes principales influences. Mais j’ai étudié le travail de beaucoup de sculpteurs ! Très jeune, j’ai assidument fréquenté le musée Rodin et me suis passionné pour le monde Roman. Puis je me suis intéressé à l’oeuvre de Constantin Brancusi qui a été un des points de départ de mon travail. Brancusi a produit une oeuvre magnifique, très élaborée et assez minimaliste, mais il n’est pas arrivé jusqu’au vide et son travail est souvent resté dans la symétrie. En sculpture c’est très dur de sortir de la symétrie. Des artistes comme Chilida, Serra, Sol LeWitt se sont penchés sur le problème et l’ont résolu.

    G.G. : Souhaitez-vous ajouter quelque chose pour conclure cette interview ?

    A.H. : Pour moi, la sculpture devrait permettre de mieux vivre : c’est ma conviction profonde. En présentant mes sculptures à Amiens cet été, j’espère atteindre mon objectif pour la ville, ses habitants et ses visiteurs.

    SCULPTURES DE VILLE

    La sculpture monumentale nourrit la cité de son effacement. On oublie de la regarder mais on trouve à l’avenue qu’elle ouvre une harmonie qu’on ne lui connaissait pas, à la place qu’elle anime un air énergique et une modernité qui donnent envie de vivre.

    Le Bernin devant Versailles transfigure l’ordre esthétique en un ordre magique. Les grandes oeuvres dansantes d’Albert Hirsch ne comportent ni masses ni grandes surfaces planes. Elles sont toutes en claires-voies et ouvertures, faites de barres creuses à section carré coupée à vif, dressées à la verticale et forgées en courbe et contre courbes.

    Elles se raccordent, à leur sommet, par une courbe horizontale en fronton qui crée un effet de portique. Bien que soudée cette pièce semble posée avec circonspection, le plus légèrement possible. Les courbes verticales constituent une assise solide appuyée directement au sol parfois sur leur angle extérieur comme une danseuse sur une pointe. Et c’est bien l’essentiel pour une sculpture qu’elle se tienne fermement dans son rapport à la terre, sans moyens orthopédiques : socles épais ou armatures de soutien. C’est ainsi que l’ensemble donne une impression d’évidence et se mêle à la cité comme un arbre parmi les gens qui vont et viennent. Ces oeuvres ont souci de se livrer entièrement, d’être totale extériorité mais en même temps qu’elles n’y parviennent pas parce qu’en elles quelque chose se dérobe sans cesse. La complexité topologique que produit la combinaison des croisements de courbes – conjonctions/disjonctions, interruption de l’une à mi-hauteur pour en étayer une autre, leurres, divergences malicieuses, esquives – rend malaisée la saisie de l’ensemble. Lorsque nous tournons autour de l’oeuvre nous percevons des aspects chaque fois si différents que nous ne parvenons pas à les intégrer dans une image totalisatrice. De même, des photographies prises sous plusieurs angles semblent-elles nous montrer des oeuvres différentes.

    Tout en elles est saisissable mais jamais leur totalité. La barre horizontale courbe qui sert de linteau au portique dépasse souvent l’appui des montants arqués comme le font les toitures des palais chinois dont les coins amorcent un envol. D’ailleurs tout s’envole dans ces sculptures. Et les arbres vus entre les courbes intègrent leurs fourches à ses danses matissiennes. Les ombres portées, elles-mêmes, ajoutent à l’ensemble des formes inattendues d’entrelacs qui ne sont pas la projection de formes constituées mais la création d’autres, différentes selon les heures. Le franchissement d’un portique offre non pas un parcours mais vécue de l’intérieur, l’expérience immanente de la sculpture dans sa complexité chorégraphique. La totalité, insaisissable à l’extérieur, nous en avons la révélation sous la forme d’une épreuve étrange, un léger vertige, un trouble de l’espace. Maurice Benhamou