L’Empire de l’or rouge de Jean-Baptiste Malet

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Jean-Baptiste Malet - L'Empire de l'or rouge
Jean-Baptiste Malet - L'Empire de l'or rouge

L’Empire de l’or rouge : Durant deux ans, des confins de la Chine à l’Italie, de la Californie au Ghana, Jean-Baptiste Malet a mené une enquête inédite et originale sur l’industrie de la tomate

Que mange-t-on quand on ouvre une boîte de concentré, verse du ketchup dans son assiette ou entame une pizza ? Des tomates d’industrie. Transformées en usine, conditionnées en barils de concentré, elles circulent d’un continent à l’autre. Toute l’humanité en consomme, pourtant personne n’en a vu.

Où, comment et par qui ces tomates sont-elles cultivées et récoltées ?

Durant deux ans, des confins de la Chine à l’Italie, de la Californie au Ghana, Jean-Baptiste Malet a mené une enquête inédite et originale. Il a rencontré traders, cueilleurs, entrepreneurs, paysans, généticiens, fabricants de machine, et même un « général » chinois. Des ghettos où la main-d’œuvre des récoltes est engagée parmi les migrants aux conserveries qui coupent du concentré incomestible avec des additifs suspects, il a remonté une filière opaque et très lucrative, qui attise les convoitises : les mafias s’intéressent aussi à la sauce tomate. L’Empire de l’or rouge nous raconte le capitalisme mondialisé. Il est le roman d’une marchandise universelle.

Jean-Baptiste Malet
Jean-Baptiste Malet est journaliste. EN Amazonie : Infiltré dans le “meilleur des mondes” (Fayard, 2013), enquête consacrée à Amazon, qui lui a valu le Prix lycéen du livre d’économie et de sciences sociales 2014.

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Broché: 288 pages
Editeur : Fayard
Collection : Documents
Langue : Français
ISBN-10: 2213681856
ISBN-13: 978-2213681856
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Environs de Wusu, Xinjiang, Chine

L’autocar transporte des travailleurs en provenance de la banlieue de Wusu, dans le nord du Xinjiang, une ville à mi-chemin entre la capitale régionale, Ürümqi, et le Kazakhstan. Le véhicule avale des kilomètres de routes bien asphaltées, traverse des paysages urbains désolés, puis des espaces de terres agricoles où se multiplient les courbes, les rouleaux de poussière, avant d’emprunter un ultime tronçon terreux. Il se gare le long d’une haie de maïs derrière laquelle s’étend un champ de tomates de 35 Mu, environ 2,3 hectares. La parcelle est faite d’une seule bande de terre, aussi longue que trois terrains de football mis bout à bout, en bordure de laquelle stationnent déjà plusieurs minibus.

Tout le monde descend de l’autocar précipitamment. Des femmes courent, tirent d’une main leur enfant essoufflé. Dans l’autre, elles tiennent leur hachoir de travail au manche gravé, décoré de fleurs. Tous se hâtent afin de pouvoir s’emparer au plus vite de paquets de grands sacs de toile plastifiée et les disséminer dans le champ. Lorsque tous les sacs ont été pris, un tracteur et sa remorque réapprovisionnent les arrivants. Ces sacs disparaissent à leur tour. « Il n’y a pas de temps à perdre », lance un cueilleur haletant. Aujourd’hui, chaque sac de 25 kg sera payé 2,2 yuans ‒ l’équivalent d’environ 30 centimes d’euro, soit un peu plus d’un centime le kilo de tomates ramassé.

Les cueilleurs échangent quelques mots, jamais en mandarin, toujours dans leur dialecte, pour mieux organiser le début de la récolte, se répartir les rangs, choisir une bonne position de départ.

Une jeune fille, quatorze ans à peine, ploie sous une charge peut-être aussi lourde que son maigre corps : elle porte péniblement sur son dos frêle un paquet de sacs. Elle laisse tomber au sol son ballot, en tranche le cordage et se met au travail. D’autres enfants et adolescents sont venus travailler dans le champ. La plupart des ouvriers agricoles sont originaires du Sichuan, une province pauvre du centre-ouest de la Chine située à plus de trois mille kilomètres ; les autres sont ouïgours. Les cent cinquante cueilleurs forment des petits groupes épars de dix à vingt personnes, séparés entre eux par une distance régulière. Beaucoup de femmes et d’hommes accomplissent leur travail seuls. Quand ils travaillent à deux, une division des tâches s’est instaurée.
Accroupis, les uns lèvent leur hachoir au-dessus de leur tête, puis, d’un coup sec, procèdent à une coupe nette afin de sectionner le pied de tomates. Les autres se penchent pour ramasser la plante feuillue chargée de fruits mûrs et la secouer vigoureusement. Les tomates se détachent, tombent au sol avec un petit bruit sourd. Peu à peu, des lignes rouges et vertes se dessinent et strient le champ. D’un côté, des amoncellements de déchets verts, hauts jusqu’au genou. De l’autre, de longs traits rouges.

Des dizaines de travailleurs battent littéralement la terre au hachoir, s’y reprenant à plusieurs fois lorsqu’un pied de tomates est particulièrement robuste ; ceux qui les suivent rassemblent les fruits épars, accroupis ou à genoux, avec le plat du large couteau, ou à mains nues. Il s’agit maintenant de remplir les grands sacs. Le champ luxuriant se transforme au fil des heures en une terre nue.

Certaines femmes, pour se protéger du soleil, portent une casquette enveloppée d’un tissu épais. Rares sont ceux qui parlent. On n’entend que les coups répétés des hachoirs, le bruissement de la toile des sacs qui se remplissent et sont déplacés. Soudain un chant mélancolique et puissant s’élève dans le lointain. Quelques-uns s’autorisent un bref regard dans la direction d’où semble monter la voix anonyme. On n’aperçoit que des silhouettes au travail, penchées vers le sol.

Une femme porte un nourrisson dans son dos. Elle s’éreinte dans l’extrême chaleur humide. Des enfants en bas âge, trop jeunes pour travailler, jouent sur la parcelle avec des bouts de bois ou des cailloux. Ils tapotent le sol avec un hachoir oublié pour imiter leurs parents ou portent à leur bouche des tomates non rincées, pleines de traces blanches : des résidus de pesticides. Le soleil est si brûlant que certains d’entre eux déambulent sans tricot. Beaucoup se grattent. Leurs visages et leurs mains présentent des traces d’irritation ou de maladies de peau. Ils n’en sont pas à leur première journée de la saison passée au champ.

L’homme qui travaille en chantant d’une belle voix mélancolique est originaire du Sichuan. Lamo Jise, trente-deux ans, est de l’ethnie Yi, tout comme son épouse. « Aujourd’hui nous devrions récolter environ cent soixante sacs de tomates à nous deux, ma femme et moi [soit environ quatre tonnes]. Ensemble, on devrait gagner aux alentours de 350 yuans. » C’est-à-dire l’équivalent de vingt-quatre euros par personne pour une journée éprouvante de labeur, sous un soleil de plomb, qui ne s’achèvera qu’à la nuit tombée. « Je chante pour me donner du courage », me dit-il.

Portant une casquette rouge, Li Songmin se tient à un coin du champ, il surveille la récolte. Le producteur sait que ses tomates seront livrées par camion dès ce soir à une usine de l’entreprise Cofco Tunhe. Ensuite, il ignore tout de la destination de sa matière première, une fois qu’elle aura été transformée. Li Songmin est le locataire de la parcelle.