Le baroque débridé. De Cattelan à Zurbarán – Manifestes de la précarité vitale

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    Juergen Teller
    Juergen Teller (1964-) Paradis XII, 2009 – Photographie couleur – 127 x 177,8 cm ; avec cadre : 134,5 x 194,5 x 0,6 cm – Édition 2/5 – Courtoisie de l’artiste et de la Lehmann Maupin Gallery

    Organisée conjointement par la Kunsthaus Zürich et le Musée Guggenheim Bilbao, l’exposition « Le baroque débridé. De Cattelan à Zurbarán – Manifestes de la précarité vitale » établit un dialogue entre œuvres du XVIIe siècle et créations contemporaines afin de remettre en cause le concept de Baroque dans sa perception esthétique traditionnelle, souvent liée à des clichés comme la pompe, la surabondance d’ornementation et la profusion de dorures. L’exposition vise ainsi à mettre l’accent sur la « manifestation d’une vitalité précaire » ou l’expression du sentiment à la fois exubérant et fragile de l’existence.

    L’exposition opère ainsi une confrontation entre les œuvres de grands artistes du XVIIe siècle tels que Pieter Aertsen, Giovanni Battista Langetti, Alessandro Magnasco, Ribera, Jan Steen, David Teniers le Jeune, Simon Vouet ou Francisco de Zurbarán, et celles de créateurs contemporains de l’importance de Maurizio Cattelan, Robert Crumb, Urs Fischer, Glenn Brown, Tobias Madison, Paul McCarthy ou encore Cindy Sherman. Dans sa présentation, l’exposition s’efforce d’éviter les analogies thématiques et formelles superficielles afin de présenter des réalités parentes et différentes qui s’interpénètrent, s’inspirent et s’influencent mutuellement, renouvelant ainsi le regard du spectateur.

    L’exposition « Le baroque débridé » ne prétend pas, comme l’indique la commissaire de l’exposition, Bice Curiger, « offrir un festival de chefs-d’œuvre», ni même « revendiquer l’existence d’un courant stylistique néobaroque en art contemporain », mais vise plutôt à rapprocher un style – dont plusieurs siècles nous séparent – de nos perceptions et de nos expériences actuelles du monde : « En ces temps de grandes révolutions, esthétiques, visuelles et de communication, il apparaît tentant, et même opportun, d’aller revisiter une époque qui avait choisi le visible et le «sens de la vue» comme l’une de ses thématiques allégoriques préférées. Les dynamiques du présent peuvent nous aider à découvrir de nouvelles interprétations de l’art ancien…».

    L’ensemble du troisième étage du musée présente ainsi plus de cent œuvres dans une scénographie qui s’inspire de techniques de montage cinématographique, en un flash-back qui fait retour sur l’Histoire à partir d’une perspective contemporaine, explorant sous divers angles l’éventail de thèmes liés à l’époque baroque tels que le rustique, le grossier, le religieux, la sensualité, le grotesque, le comique ou la virilité.

    L’exposition a bénéficié de nombreux prêts en provenance non seulement de la Kunsthaus Zürich mais également des principaux musées d’art ancien d’Europe tels que le Musée des Beaux-arts de Bilbao, le Prado, le Kunsthistorisches Museum de Vienne ou le Städel Museum de Francfort, ainsi que d’œuvres de premier plan issues de collections privées.

    Le bucolique et le comique

    L’accrochage débute dans les salles classiques avec des oeuvres qui se penchent sur le vice, le libertinage, le péché et la passion, un univers thématique joyeux et insouciant qui se développe au XVIIe siècle pour satisfaire les goûts de l’aristocratie et de la bourgeoisie, la nouvelle classe d’acheteurs qui surgit dans les villes parmi les riches commerçants.

    Le même espace accueille Comment danserions-nous (How We Would Dance) de Dana Schutz, une pièce où se conjuguent le fantastique et le conceptuel par l’évocation, au moyen d’une figure qui tombe en arrière, comme l’a déclaré l’artiste, de la figure de saint Pierre crucifié tête en bas dans La Crucifixion de saint Pierre . du Caravage.

    Mythologie et exaltation de la virilité masculine

    Dans un ordre social patriarcal, les dynasties dominantes en appellent consciemment à la mythologie ou aux héros de l’Antiquité pour légitimer leur propre lignage et leur pouvoir. Ainsi, l’Hercule représenté par Zurbarán symbolise non seulement la virilité par excellence, mais aussi l’idéal de vertu des gouvernants. La mise en scène exemplaire des vices humains et l’exposition d’un modèle de vie vertueuse visaient essentiellement un monde d’hommes. Aux presque toujours discrets éloges des charmes féminins s’opposait l’exaltation de la virilité et de l’héroïsme masculin.

    La représentation de la violence sexuelle infligée à une belle jeune femme par deux vieillards lascifs que nous offre Suzanne et les vieillards , de Francesco Capella, est un thème habituel de l’époque qui satisfaisait le voyeurisme des acheteurs dans un contexte dépourvu de contrôle moral. Dans La Négresse du monde (Nigger of the World , 2011), Glenn Brown nous montre aussi une Suzanne, mais sans tête et au corps lacéré. Elle a perdu son attrait comme ont disparu les vieillards qui l’épiaient.

    Le Caravage et l’obscurité

    L’exposition se poursuit avec une série de toiles qui reprennent la technique du clair-obscur avec laquelle Le Caravage a bouleversé l’art du XVIIe siècle, clair-obscur qui intensifie un dramatisme dans lequel s’épanouissent le sacré et le profane, le quotidien et une sensuelle corporéité. Cette tendance s’est répandue dans toute l’Europe, et notamment dans le Nord grâce aux émules caravagistes de l’École d’Utrecht. Saint Sébastien assisté par Sainte-Irène et sa servante (ca. 1615–21) de Dirck van Baburen, offre dans sa sensualité plastique un exemple clair d’humanité et d’émotivité religieuse. Mentionnons également la forte influence du Caravage sur les peintres espagnols. Dans l’audacieuse composition Saint Sébastien soigné par les saintes femmes (ca. 1621), Ribera, qui, avec son style réaliste, intervient dans l’essor du baroque italien à Rome et à Naples, se laisse inspirer par le traitement caravagesque de la lumière et reprend le thème du martyre de saint Sébastien dans un style pictural direct et élémentaire.

    Les vanités ou la manifestation de l’excès

    La dernière partie de l’exposition regroupe diverses allégories et portraits ainsi qu’un certain nombre d’oeuvres qui s’inspirent d’un thème connu depuis l’Antiquité et très populaire à l’époque baroque : les vanités. Les guerres et les catastrophes survenues au XVIIe siècle ont rendu la mort omniprésente et ceci trouve son reflet dans d’innombrables symboles, comme les crânes — Vanité et nature morte au crâne, à la chandelle et au cadran solaire (ca. 1620) d’un maître allemand— et des motifs picturaux comme le vaisseau balloté dans une mer en furie qui représente si bien Jacob van Ruysdael.

    L’art de l’époque et son contexte

    L’exposition est complétée par un espace didactique où est présentée une série de termes qui définissent le Baroque et qui prend pour axe central la vitalité et la proximité de la vie. Un jeu imaginaire sous forme de diagramme avec les interconnexions possibles entre ces termes est aussi proposé dans cet espace. De plus, pour illustrer la volonté de divertissement de l’époque, l’historien de l’art Michael Glasmeier a confectionné un programme de musique baroque et de réinterprétations actuelles par le compositeur Frieder Butzmann. Parallèlement à la manifestation, mardi 11 juin, à 18h30, les artistes Cristina Lucas et Marilyn Minter participeront à une table ronde dans l’Auditorium du Musée, modérée par Bice Curiger, commissaire de l’exposition, au cours de laquelle ils parleront de leur démarche créatrice à partir de leurs oeuvres présentés ici. Cette activité sera gratuite avec l’entrée du Musée et bénéficiera d’une traduction simultanée anglaisespagnol.

    • Exposition du 14 juin au 6 octobre 2013
    • Commissaire : Bice Curiger

    Guggenheim Bilbao