Azzedine Alaïa célébré au Palais Galliera, le musée de la Mode de la Ville de Paris

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    Le Palais Galliera célèbre Azzedine Alaïa en lui consacrant son exposition d’ouverture. Cette première rétrospective parisienne est présentée dans les galeries rénovées du palais, ainsi que dans la salle Matisse du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Une sélection de soixante-dix modèles iconiques retrace le parcours créatif unique d’Azzedine Alaïa.

    Son apprentissage est intimement lié aux clientes qu’il a su séduire par des vêtements sur mesure, des personnalités légendaires comme Louise de Vilmorin, Arletty ou encore Greta Garbo. Encouragé par son ami Thierry Mugler, il présente en 1979 sa première collection griffée, et déjà il rend le cuir plus fragile, plus sensuel aussi. Le jersey et le stretch, dont il drape les corps, rappellent l’École des Beaux-Arts de Tunis où il étudia la sculpture : « Quand je travaille le vêtement, il faut que ça tourne autour du corps, de profil et de dos ». Les zips tracent leur chemin autour des robes, les œillets percent les manteaux, les piqûres soulignent le galbe des tailleurs… Alaïa a modelé un corps nouveau tel un sculpteur dont les mains façonnent la mousseline ou le cuir. Il est l’un des rares à maîtriser toutes les étapes de la réalisation d’un vêtement : tracer un patron, dessiner à même la toile les formes et les volumes qu’il a en tête, couper, coudre et dompter les tissus.

    En inventant de nouvelles morphologies par le simple jeu de coutures complexes, Alaïa est devenu le couturier d’une œuvre qui traverse le temps. Son influence sur la mode contemporaine est fondamentale. Azzedine Alaïa, infatigable travailleur, artisan sublime de lui-même, poursuit son chemin en préférant « les vêtements qui durent » à ceux qui s’éteignent avec les saisons. Cet insatiable amoureux des femmes confie : « Je fais des vêtements, elles font la mode… ». Les mannequins et amies qu’il a révélées – comme Naomi Campbell, Stephanie Seymour, Linda Spierings, Linda Evangelista, Veronica Webb ou Yasmin Le Bon – sont aussi ses plus fidèles admiratrices. En 1985, il reçoit deux Oscars de la Mode à Paris. La même année, il défile au Palladium de New York avec Jean-Paul Goude à la direction artistique, enfin, il est célébré au CAPC de Bordeaux avec les sculptures de Dan Flavin. En 1996, à Florence, une monographie lui est consacrée au Palazzo Corsini, suivie d’une exposition avec les peintures de Julian Schnabel à la Biennale de la Mode. En 1998, une rétrospective lui est dédiée au Groninger Museum, où ses modèles côtoient les œuvres de Pablo Picasso, Jean-Michel Basquiat, Anselm Kiefer, Christophe von Weyhe… En 2000, au Guggenheim Soho, il est exposé avec les toiles d’Andy Warhol.
    Au Palais Galliera – qui fut le lieu même de la première exposition Warhol à Paris – les robes d’exception d’Alaïa sont exposées dans une scénographie confiée au designer Martin Szekely. Dans la Salle Matisse du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, elles poursuivent ce dialogue avec l’art si cher au couturier.

    La scénographie

    La symétrie du palais se déploie de part et d’autre d’un axe palatial. L’exposition, en s’alignant sur cet axe, souligne sans emphase le caractère solennel de cet événement inédit.

    Les estrades, étendues noires d’exposition, à peine surélevées font office de limite. L’éclairage met l’accent sur les vêtements, sculptures offertes à la contemplation, et laisse le palais dans une relative pénombre.

    Depuis le vestibule d’accueil, les premières robes exposées, vues à travers la porte monumentale qui mène au vaste Salon d’honneur, agissent comme un appel. Le parcours du public est libre, guidé par le désir de découvrir l’exposition et de déambuler dans le palais. Du Salon d’honneur, on accède à la Grande galerie, un espace tout en longueur et en hauteur où l’exposition se déploie sur un parterre central de grande dimension. Dans le Petit salon l’estrade se développe verticalement et concentre le regard sur les dernières œuvres exposées, tout en occultant la sortie. Le visiteur traverse un sas et recouvre la lumière du jour.

    L’exposition se poursuit au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris dans la salle Matisse. Les mêmes estrades à peine surélevées font office de limite. Elles sont ici traitées en blanc.

    Les débuts à Tunis

    « Madame Pineau était pour moi comme une seconde mère… Chez elle, je dévorais les catalogues, les revues de médecin avec leurs reproductions d’œuvres d’art et les quelques magazines de mode où je me souviens avoir admiré des modèles de Dior et de Balenciaga. «Je me demandais comment tenaient ces robes.» Parce qu’elle avait senti que j’avais des prédispositions artistiques, madame Pineau a menti au directeur de l’École des Beaux-Arts en jurant que j’avais bien seize ans. Elle m’a poussé à m’inscrire au concours d’entrée à quinze ans, sans que mon père soit au courant. «On n’était que quatre arabes à se présenter.» Afin de payer mes fournitures, je passais mes nuits à surfiler des robes pour une couturière de quartier. J’ai appris les points en réalisant les exercices de couture de ma sœur Hafida qui n’avait pas de goût pour les travaux manuels. Sur les carrés en toile de lin écru distribués par les religieuses de Notre-Damede-Sion où elle suivait sa scolarité, je m’appliquais à coudre selon les instructions qui leur étaient enseignées.

    À Tunis, il n’était pas courant qu’un garçon fasse de la couture. Deux filles d’une grande famille tunisienne qui vivait en face du magasin de la couturière pour laquelle je travaillais la nuit furent intriguées par mes allées et venues et demandèrent à me voir. Elles ont parlé de moi autour d’elles et m’ont recommandé à Madame Richard, une des deux couturières travaillant pour les grandes bourgeoises de la ville. C’est à ce moment-là que la fille préférée du Bey a souhaité me rencontrer. Je lui ai réalisé un manteau en drap rouge avec un trou pour passer une écharpe de surah blanc à pois rouges. J’avais aussi cousu un short blanc pour mon professeur d’anatomie à l’École des Beaux-Arts, où j’étais inscrit en sculpture. »

    Les débuts à Paris

    « Leïla Menchari était devenue une amie très chère. Peintre et artiste, elle s’était installée peu de temps avant à Paris, où l’attendait une belle carrière chez Hermès. Très émancipée, sa mère fut une des premières femmes tunisiennes à abandonner le voile. C’est elle qui œuvra à mon départ pour Paris en me recommandant auprès d’une riche cliente, d’origine tunisienne et s’habillant chez Dior, qui favorisa mon entrée dans la célèbre maison. On me proposa de choisir entre le studio et l’atelier. J’ai bien sûr choisi l’atelier. Par les fenêtres de chez Dior, je sentais les odeurs de parfum, je voyais les vendeuses toutes de noir vêtues et portant un fin collier de perles. J’adorais tout ça. Bien que renvoyé au bout de cinq jours, j’avais le sentiment d’avoir tout vu, tout saisi. Leïla Menchari m’a obtenu une chambre de bonne dans la rue Lord-Byron où elle habitait elle-même. En échange du courrier à monter et de quelques blouses que je devais lui réaliser, la concierge accepta de mettre cette chambre à ma disposition. Ensuite, j’ai passé un peu plus d’une année Parc Monceau, chez la Marquise de Mazan, une Italienne pour qui je réalisais des travaux de couture. Je l’habillais. Chez elle, j’ai rencontré la Comtesse de Blégiers, pour qui j’ai alors passé cinq années à m’occuper des enfants et à faire la cuisine. Par l’intermédiaire de Madame Delacombe, une relation de Tunis, je suis entré pour deux saisons chez Guy Laroche. C’est là que j’ai rencontré Simone Zehrfuss, la femme de l’architecte. Elle se prit d’affection et d’amitié pour moi et me fit rencontrer de nombreuses personnalités du moment, dont Louise de Vilmorin. La première fois que nous nous sommes vus, ayant peur d’écorcher mon nom, elle me le fit écrire sur un papier qu’elle glissa dans son sac d’un air entendu, ajoutant : « L’affaire est dans le sac »! »

    Les mannequins

    Si je n’ai pas un mannequin sous les yeux, je n’ai pas d’idée. J’ai besoin de leurs corps à proximité. Naomi Campbell, Farida Khelfa, Veronica Webb, Stephanie Seymour, Marie-Sophie Wilson, je leur suis reconnaissant à toutes de m’avoir accompagné dans ces longues séances de pose, d’essayage et de recherche. »

    Les Femmes

    « Je n’ai jamais suivi la mode. Ce sont les femmes qui ont dicté ma conduite. Je n’ai jamais pensé qu’à elles car je suis convaincu qu’elles ont plus de talent que n’importe quel styliste. Il faut connaître l’académie de leur corps pour les devancer dans leurs envies. Au fil des années, j’ai suivi l’enseignement de leur silhouette. L’épaule est essentielle, la taille primordiale. La cambrure des reins et le derrière sont capitaux. La poitrine, on s’en arrange toujours. Le cou, s’il est court, doit être flatté par un col haut et de petites épaulettes. En 1993, j’ai souhaité rompre avec le système imposé des défilés saisonniers pour me concentrer sur des vêtements et non sur l’effet de mode. Je crois pouvoir dire que mes vêtements sont indatables, ils sont faits pour durer. Depuis mon arrivée à Paris à la fin des années 1950, je ne pense pas avoir répondu à d’autres demandes ou d’autres impératifs que ceux des femmes qui m’entouraient et continuent à m’entourer. »

    • Exposition du du 28 septembre 2013  au 26 janvier 2014

    Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris

    Photo par Piero Biasion pour artsixmic