ART PARIS ART FAIR, édition 2014 : la Chine, en invitée d’honneur 

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Liu-Bolin
Liu-Bolin

La foire accueille du 27 au 30 mars 2014, sous la nef du Grand Palais, 144 galeries internationales, dont une plate-forme entièrement dédiée à la Chine. Douze galeries de Beijing, Shanghai et Hong Kong ont été conviées et présentent plus de 90 artistes chinois.

Cette invitation coïncide avec le 50e anniversaire de l’instauration des relations diplomatiques franco-chinoises (27 janvier 1964). Dans ce cadre, la Chine est l’invitée d’honneur de nombreux événements culturels partout à travers la capitale française.

A la mairie du XVIIe arrondissement, notamment, une exposition se déroule du 12 mars jusqu’au 24 mai 2014. Cinquante artistes chinois contemporains, sélectionnés par Yan Joyce Xun, galeriste (de Xun Art Gallery, Beijing) et commissaire d’exposition avec Frédérick Pinel de la Fondation Iris 2012, présentent 50 œuvres. Dont des photographies de l’artiste Ma Liang dit « Maleonn » présent aussi au Grand Palais à la galerie Paris-Beijing. Cette exposition sera suivie d’une vente aux enchères sous le marteau de Me Pierre Cornette de Saint Cyr, le 17 mai.

La Chine au passé composé

La civilisation chinoise est l’une des plus anciennes et des plus riches culturellement du monde. Son histoire de près de 5.000 ans a été marquée par de profondes mutations à tous les niveaux et pourtant jamais le « pays du Milieu » n’a perdu le lien avec son histoire, avec ses racines, avec ses ancêtres. La boussole, dont elle fut l’inventeur, pourrait être l’un de ses symboles.

Les artistes chinois, même dissidents politiquement, même exilés en Occident, ne renient pas leurs racines avec ce pays à taille d’un presque continent. Un fil qui semble indestructible les lie à leur culture millénaire. Fil qu’ils tendent à leur tour continuant ainsi de tisser cette immense toile aux reflets changeants qu’est la scène artistique chinoise.

Parmi les artistes chinois présentés au Grand Palais, ceux issus de la génération post-Révolution culturelle sont, à ce titre, tout à fait représentatifs d’une génération qui interroge et qui remet en cause son environnement que ce soit d’un point de vue écologique, politique ou culturel, tout en revendiquant son appartenance forte à son pays et à sa culture.

Focus sur 4 artistes : Liu Bolin, Maleonn, Rong Rong, et Han Bing.

Liu-Bolin
Liu Bolin “Hiding in the City

Entre coup-de-poing et tradition : Liu Bolin

Sept tonnes de fer de 3,60 mètres de haut barre l’entrée du Grand Palais : l’« Iron Fist » de Liu Bolin joue avec l’iconographie du poing tendu, dont l’enfance et l’adolescence de l’artiste ont été bercées. Sans renier cette image-force, Liu Bolin se la réapproprie et la renverse, tel un coup de massue.

Ce poing, qui est celui de l’artiste gravé du slogan actuel de propagande de la ville de Beijing, (Beijing Spirit) « Patriotisme, innovation, intégration et vertu », se pose comme une affirmation, une revendication de l’individu face à l’ensemble sociétale dans lequel il n’entend pas, ou plus, se fondre. Ce poing en étant justement et précisément celui de l’artiste n’est pas un poing tendu anonyme, représentant le peuple dans son ensemble. Il est personnifié, individualisé ; il est le poing avec lequel un individu revendique sa perception propre, grâce auquel il sort de l’anonymat. « Mon poing en fer est né de mes réflexions sur la réalité de la Chine: les gens y endurent des pressions énormes, à cause de leurs conditions de vie, du climat politique, de l’air pollué qu’ils respirent. Tout cela a sur eux des conséquences négatives », a expliqué Liu Bolin lors d’un entretien récent avec l’AFP à Tangshan (Chine) où a été produite la sculpture.

A la galerie Paris-Beijing (stand E15) le travail photographique de Liu Bolin est également présenté. Une photo de la série « Hiding in the City », un personnage en costume de travail traditionnel, totalement recouvert de la même peinture écarlate que l’arrière plan, s’y fond jusqu’à être happé par le décor. Une double porte close constitue ce décor-fond dans lequel le personnage ne se distingue plus qu’à peine. Inversion, ici, encore du fond-arrière plan qui devient si prégnant qu’il happe le personnage placé devant lui. Disparition de l’individu dans un univers dans lequel il semble se noyer, perte spatiale de repères, inversion des pôles… Les interprétations sont multiples et chacune serait sans doute trop restrictive. C’est le propre de l’art que d’ouvrir des portes… même aussi monumentales et pesantes que semblent être celles de cette photo.

Dans la même galerie, le travail de Ma Liang dit « Maleonn » (aussi présent à la mairie du XVIIe arrondissement jusqu’à la fin mai). Ici des personnages posant dans un décor insolite : une famille traditionnelle chinoise, dont chaque visage est sous « cloche de verre », éclairée par un halo lumineux qui semble venir… de la Terre. Le sol, sur lequel ils sont, ressemble à la Lune… Vision anticipatrice ? A la mairie du XVIIe, ce sont des photos au décor résolument théâtral qui sont exposées, montrant pourtant des scènes d’intérieur pouvant être celui de la vie quotidienne… Jeux de piste… brouillée.

RongRong
Image of East Village 1994 No.20 by RongRong

Beijing East Village : Rong Rong

Rong Rong, exposé par la galerie hong-kongaise Blindspot, (stand G29), utilise, lui aussi, la photo pour mettre en scène la communauté artistique de Dong Cun, l’East Village chinois. Artiste photographe et performeur, né dans la province du Fujian en 1968, Rong Rong appartient, comme Liu Bolin, à cette génération post-Révolution culturelle, élevée avec le boom économique qui lui a succédé et une liberté d’expression plus évidente que pour leurs aînés. Il arrive à Pékin en 1992 et intègre très rapidement ce quartier underground. Il va alors commencer à photographier les nombreuses performances qui vont s’y dérouler jusqu’à la fin des années 1990, sa vie ainsi que celles de tous ces artistes réfugiés en périphérie de Beijing. Le travail de Rong Rong, en sus d’être d’une incroyable qualité plastique et d’une vibrante beauté, est aussi une vision, onirique et décalée, de ce quartier aujourd’hui disparu. Le démantèlement de la communauté artistique à la fin des année 1990 et la destruction du village au début des années 2000 ne laisseront aucune trace de ce qu’était l’East Village chinois hormis ces œuvres photographiques en noir et blanc. Ce qui en fait, en plus d’une œuvre artistique fascinante, un témoignage historique poignant.

Han-Bing
Han Bing “Dionysus Bridge Garbage Station” (2005)

Han Bing, paysages à la dérive

Artiste multimédia, performeur, photographe mais aussi écologiste et sociologue, Han Bing expose à la galerie Hua (stand B17) un ensemble de photos en couleur montrant les reflets de paysages dans l’eau où flotte divers déchets, comme autant de flocons de coton qui viendraient s’y déposer pour le décor. L’impression est incroyablement poétique. Les paysages frémissent comme sous une brise d’été dans une eau polluée. Les contraires (beauté-pollution) semblent flotter tout en douceur telle une Ophélie à la dérive. La prise de position écologique emprunte les sentiers du rêve. C’est incroyablement beau et c’est sans doute cette beauté qui met le plus mal à l’aise. L’eau, première source de vie, première condition à l’apparition du vivant se meurt et dérive dans un paysage constitué de déchets.

Petit détour par le « pays du Matin-Calme » : In Sook Kim

313 Art Project (stand D2), galerie coréenne installée à Séoul, présente, notamment, le travail photographique d’In Sook Kim. Cette jeune photographe, née en 1978 à Pusan, en Corée, vit et travaille actuellement à Dusseldorf, en Allemagne. Sa série « Saturday Night » met en scène l’intérieur de plusieurs chambres d’un hôtel vu de l’extérieur. La photographie cadre sur la façade dont les larges fenêtres éclairées sont toutes une invitation à pénétrer dans chaque intimité. L’ « obscène » surexposées par un éclairage théâtralisant chaque moment de ce samedi soir quelque part sur la terre. Chaque perversion y est décrite dans une mise en scène colorée, presque monochromique. Ce qui devrait être derrière des fenêtres fermées, aux rideaux tirés, est exposé, donné à voir dans un étrange théâtre de poupées humaines.

L’Asie, et plus particulièrement la Chine, a de tous temps exercé une fascination sur ceux qui s’en sont un jour approchés. Gageons que cette année, riche en manifestations culturelles la portant sur le devant de la scène parisienne, ne sera que prétexte à découvrir encore de nouveaux artistes aujourd’hui trop peu connus et à renforcer cet attrait d’Extrême-Orient. Laetitia Lormeau pour artsixmic

  • Photo : Laetitia Lormeau